Hommage à Jean D’Ormesson et Johnny Hallyday, deux monstres sacrés de la France s’en sont allés
Jean d’Ormesson (1925-2017) et Jean-Philippe Smet dit Johnny Hallyday (1943-2017) sont morts quasiment en même temps. Bien qu’en apparence tout les sépare, ils sont devenus deux figures atemporelles de la culture française, faisant partie désormais du patrimoine et de l’âme de la France.
En 2008, Jean d’Ormesson expliquait qu’il ne fallait pas disparaître en même temps qu’une autre célébrité, pour ne pas être éclipsé — cela s’est déjà produit lors des morts simultanées d’Édith Piaf et de Jean Cocteau ou encore de Farah Fawcett et de Mickael Jackson —. L’ironie du sort a voulu que Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday disparaissent à un jour d’intervalle les 5 et le 6 décembre 2017.
En apparence tous les opposait.
L’un était écrivain, philosophe, issu de la classe aristocratique traditionnelle, un des chefs de file de la droite et des intellectuels, académicien, amoureux de la langue française doté d’une grande érudition et d’une aisance avec les medias.
L’autre était un chanteur populaire de rock and roll, issu du peuple et chef de file de la jeunesse Ye Ye, qui savait savait jouer tous les répertoires musicaux avec sa guitare, sa voix, ses émotions, galvanisant les foules sur scène.
Mais malgré leurs particularités, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday avaient des points communs.
Deux figures de la culture française
Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday représentaient deux figures de la culture française bien qu’ils aient emprunté deux chemins différents.
Jean D’Ormesson a cherché à rendre populaire la culture : par ses articles parus dans le Figaro pendant plus de 40 ans, la publication de 40 livres qui sont officiellement rentrés dans la collection La Pléïade aux éditions Gallimard, le parrainage de collection de grands auteurs littéraires français au Figaro, la diffusion sur TF1 d’un de ses romans Au plaisir de Dieu ; son rôle à l’Unesco au Conseil International de la Philosophie et des sciences humaines ; son animation du débat sur le Traité de Maastricht ; son entrée dans l’Académie Française…
Johnny Hallyday, surnommé le French Elvis (en hommage à Elvis Presley) est entré dans la culture française avec soixante années de carrière dans la chanson populaire. Il est devenu très jeune un chef de file de la jeunesse Yé Yé et Rock and roll par sa présence au Golfe Drouot, aux émissions de radio Salut Les Copains et au magazine du même nom. Il a su s’adapter et rester sur le devant de la scène jusqu’au bout, malgré les changements de mode et sa maladie
Des funérailles nationales
Tous deux ont reçu des funérailles nationales en présence du chef de l’État français Emmanuel Macron qui a prononcé pour chacun d’eux un discours élogieux.
Dans la cathédrale Saint-Louis des Invalides, Emmanuel Macron a dit de Jean d’Ormesson : « ce que la France a de plus beau et de plus durable, c’est sa littérature ». […] « Il n’était pas un lieu, pas une discussion, pas une circonstance, que sa présence n’illuminât. Il semblait fait pour donner aux mélancoliques le goût de vivre et aux pessimistes celui de l’avenir ». […] «Cette grâce lumineuse, contagieuse, a conquis ses lecteurs qui voyaient en lui un antidote à la grisaille des jours ». Au terme de son discours, il est allé déposer sur le cercueil de l’académicien un crayon à papier, « un simple crayon, le crayon des enchantements », comme le souhaitait Jean d’Ormesson. (À son enterrement, André Malraux avait demandé à ce qu’on lui mît un chat, Gaston Deferre pour sa part avait demandé un chapeau).
La dépouille de Johnny Hallyday a été transportée et escortée par plusieurs centaines de motocyclistes — « tout est possible à moto disait le chanteur dans son album Cadillac — depuis les Champs Élysées jusqu’à l’Église de la Madeleine où une messe a été prononcée devant un parterre de plus de 800 personnes (chanteurs, comédiens, acteurs, personnages politiques et des médias, écrivains, musiciens…). Emmanuel Macron a dit : « Près de 60 ans de carrière, 1.000 chansons, 50 albums. Et vous êtes là, encore là, toujours là. […] Il fallait que vous soyez là pour Johnny parce que Johnny depuis le début était là pour vous ». […] « Johnny était beaucoup plus qu’un chanteur, c’était la vie, la vie dans ce qu’elle a de souverain, d’éblouissant, de généreux et c’était une part de nous-mêmes, c’était une part de la France ». […] « Il a traversé le temps, les époques, les générations et tout ce qui divise la société. […] « Il était invincible parce qu’il était une part de notre pays… ». Les musiciens ont ensuite chanté les plus grands succès du chanteur disparu : Quelque chose de Tennessee, Toute la musique que j’aime, Retiens la nuit…
Les jours suivant sa mort, les chaînes nationales ont diffusé immédiatement des émissions lui rendant hommage, pendant que des radios diffusaient en boucle toute la journée ses plus grand succès.
De nombreux journalistes et philosophes se sont livrés à des analyses sociologiques et civilisationnelles du phénomène « d’Ormesson » et « Johnny Hallyday ». Nul doute que ces deux « monstres sacrés » laissent des sillons indélébiles dans la culture française, dans les années à venir.
60 ans de carrière
Tous deux étaient connus du public depuis les années 60.
Jean D’Ormesson a publié son premier ouvrage L’amour est un plaisir en 1956 et Johnny Hallyday a sorti son premier 45 tours en 1960, T’aimer follement.
8 Présidents de la République se sont ainsi succédés et quatre générations de public de tous âges et classes sociales.
Les valeurs incarnées par Jean D’Ormesson et Johnny Hallyday
Jean D’Ormesson, incarnant la droite française ancrée dans ses traditions, a fait rayonner l’histoire, la civilisation et la culture françaises. Philosophe amoureux de la langue française, philosophe, il appartenait à l’univers intellectuel et moral de l’humanisme classique du XVIIIe siècle. Rentré à 48 ans à l’Académie Française (le plus jeune des académiciens) il a bousculé les habitudes en faisant en sorte que les femmes puissent entrer dans ce cercle réservé aux hommes pendant 350 ans. Marguerite Yourcenar sera la première femme à y pénétrer.
Dans ses œuvres, l’auteur a abordé les grandes synthèses sur l’univers, l’origine de l’homme, les interrogations métaphysiques, et dans ses romans des thèmes historiques, contenant des digressions et des anecdotes personnelles. Il était amoureux de la vie, épicurien, avait l’art de la conversation de par sa grande érudition.
Johnny quant à lui incarne les valeurs de courage, résilience, humilité, tolérance, amour de la liberté. Blessé par la vie, son amour de la vie vibrait dans le registre de la passion et de l’émotion. Ses chansons incarnaient la vulnérabilité, l’indécision, les coups du sort (ses amours, la drogue, l’alcool, son combat contre ses ombres). C’était un combattant « invincible », un marathonien de la scène. Il savait galvaniser les foules, envers et contre tout (affaibli par la maladie, Johnny Hallyday avait continué sa tournée Les Vieilles canailles avec ses amis de longue date Eddy Mitchell et Jacques Dutronc).
Dans leurs différences, Jean D’Ormesson et Johnny Hallyday rassemblent à eux deux la France du passé et du présent, des riches et des pauvres, de toutes les classes sociales. Ce qui les réunit est la culture qui exprime de tonalités différente, l’âme de notre France. Continueront-ils à enchanter dans l’autre monde ?
par Marie-Agnès LAMBERT
À lire
Dieu, les affaires et nous
Chronique d’un demi-siècle
par Jean D’Ormesson
Éditions Robert Laffont, 2015, 667 pages, 24 €
Ce livre rassemble des chroniques faites par l’auteur pendant ses quarante années au quotidien Le Figaro et qui commentent des évènements sur le monde politique, littéraire, cinématographiques, voyages… sur une période d’un demi-siècle. Elles commencent avec l’élection présidentielle de mai 1981, et vont jusqu’en 2014 en passant par des réflexions sur De Gaulle, Pompidou. Malgré les différences politique, l’auteur s’est efforcé de comprendre ses adversaires, avec lesquels il a pu nouer des liens intimes, notamment François Mitterand ou Michel Rocard ou encore Lionel Jospin.