Arts

«KANAK, l’Art est une Parole»

Jusqu’au 26 janvier 2014, le musée du Quai Branly organise l’exposition la plus importante jamais réalisée sur la culture kanak, «KANAK, l’Art est une Parole»

Le musée du quai Branly, à Paris, se présente comme un lieu «où dialoguent les cultures» et expose plus particulièrement les arts d’Afrique, Amérique, Asie et Océanie. Vingt-deux ans après une précédente exposition « de Jade et de Nacre », cette exposition fait suite à un travail de recensement important des objets des collections publiques mondiales et de collecte du patrimoine kanak immatériel. Elle a lieu d’autre part à un moment charnière pour la Nouvelle-Calédonie ; en effet, résultant des accords de Matignon de 1988, c’est entre 2014 et 2018 que doit se tenir un référendum d’autodétermination sur son indépendance.

Située dans le Pacifique occidental, à l'est de l'Australie, la Nouvelle Calédonie fait partie de l'ensemble mélanésien
Située dans le Pacifique occidental, à l’est de l’Australie, la Nouvelle Calédonie fait partie de l’ensemble mélanésien

Un peu d’histoire…

Située dans le Pacifique occidental, à l’est de l’Australie, la Nouvelle Calédonie fait partie de l’ensemble mélanésien. L’archipel comprend l’île principale – la Grande Terre – deux fois grande comme la Corse, les quatre îles Loyauté, plus quelques îles de moindre importance.

En 1774 James Cook découvrit le premier cette île, suivi en 1792 par Joseph-Antoine Bruni d’Entrecasteaux. Ces navigateurs portèrent sur les habitants de l’île un regard fait de curiosité bienveillante et rapportèrent de nombreux objets obtenus par échange.

En 1825 Dumont d’Urville entreprit le relevé des côtes, et à partir des années 1840, des missions protestantes et catholiques tentèrent d’évangéliser les autochtones. En1853, Napoléon III décida d’annexer la Nouvelle-Calédonie. La colonisation française s’imposa ensuite par la force, entraînant des actes de rébellion fortement réprimés et la population autochtone fut cantonnée dans des réserves, pendant qu’on installait un bagne dans l’île. À la seconde moitié du XXe siècle, des revendications en faveur d’une reconnaissance de l’identité du peuple de la Nouvelle-Calédonie surgirent, aboutissant d’abord à la signature des accords de Matignon (1988) (1) puis en 1998 aux accords de Nouméa (2) définissant entre autres le statut de la Nouvelle-Calédonie. Actuellement, la Nouvelle-Calédonie est une «collectivité territoriale sui generis», organisation transitoire en attendant un référendum d’autodétermination qui aura lieu entre 2014 et 2018.

Le dynamisme économique de la Nouvelle-Calédonie est lié aux ressources de son sous-sol, et en particulier au nickel dont elle détient entre 20 et 30% des ressources mondiales connues. Les deux mécènes principaux de cette exposition sont d’ailleurs la société ERAMET et sa filiale La Société Le Nickel-SLN qui est le leader mondial de la production de ferronickel et le premier employeur privé de l’archipel et à ce titre, qui se présente comme une entreprise citoyenne impliquée dans la vie calédonienne.

"Visages et reflets", deux aspects de l'exposition Kanak
« Visages et reflets », deux aspects de l’exposition Kanak

«Visages» et «Reflets», les deux volets de l’exposition

Revenons sur le terme Kanak : canaque est un dérivé de kanaka, qui signifie «indigène de l’archipel d’Hawaï». Utilisé par les marchands et navigateurs européens à partir du XIXe siècle pour désigner les populations originaires de Mélanésie, ce terme est devenu péjoratif. Pour s’affranchir de cette image négative, les Néo-Calédoniens décidèrent de modifier le terme en kanak et d’en faire l’emblème des revendications culturelles et politiques des peuples autochtones de ce territoire.

Les organisateurs de cette exposition ont choisi de l’intituler KANAK, l’Art est une Parole, pour souligner le rôle prédominant de la culture orale dans un pays d’une grande richesse linguistique (on y a recensé vingt-huit langues et onze dialectes) et l’importance des discours, légendes, chants… car c’est par la langue que s’exprime et se transmet une vision du monde. En réalité, ce qui a trait à la parole n’est évoqué que par petites touches tout au long du parcours de l’exposition.

L’exposition est structurée en deux volets présentés en alternance tout au long du parcours de l’exposition :

– Le premier, intitulé Visages, renvoie à la manière de se penser et donc de vivre. On y présente d’abord les attributs du chef (le «grand aîné») lorsqu’il prend la parole en public : coiffes, haches ostensoirs, monnaies de perles de coquillages. Ensuite, sont exposés les éléments caractéristiques de la «Grande maison», centre de la société, où se rassemble le clan autour de son chef : encadrement de la porte d’entrée fait de pièces de bois sculptées, flèches faîtières si typiques et symboliques que l’on retrouve dans le drapeau kanak. Viennent ensuite, après des objets liés à la culture du taro et de l’igname, des sculptures, statuettes et masques utilisés lors des rituels où sont invoqués les esprits des ancêtres, très présents dans la culture kanak, ou des génies. Enfin, ce qui a trait à la vie sociale : colliers, bracelets, monnaies, ornements qui sont échangés de façon courante, car le don entretient l’alliance avec la famille ou le visiteur et perpétue la circulation de la vie.

– Le second volet, intitulé Reflets, présente l’évolution de la perception des Kanak par l’Occident, et notamment par la France. Quatre salles retracent ces aspects : tout d’abord l’intérêt des premiers découvreurs, puis la période de l’étude scientifique (botanique en particulier) qui se déroula en même temps que l’envoi des missionnaires et la christianisation avec ses conséquences (danses et rituels furent interdits, les sculptures furent considérées comme des preuves d’idolâtrie, et l’on imposa des habits pour couvrir la nudité du kanak). Une imagerie de propagande fut diffusée dans la société française alors que plusieurs révoltes agitaient le pays.

Un hommage à Jean-Marie Tjibaou

L’exposition se termine sur une évocation du leader kanak Jean-Marie Tjibaou. Celui-ci, après avoir été ordonné prêtre et suivi des formations supérieures en métropole, demanda à être relevé de la prêtrise pour se consacrer au développement de son peuple. Il fut assassiné en 1989 par des indépendantistes radicaux, après avoir engagé le pays vers le processus d’autodétermination qui doit s’y dérouler entre 2014 et 2018. Jean-Marie Tjibaou accordait une grande importance à la reconnaissance de l’identité de l’homme et du peuple kanak, à la culture et aux relations apaisées entre les hommes. Témoins ces quelques paroles extraites de ses discours : «La non-reconnaissance qui crée l’insignifiance et l’absence de dialogue ne peut amener qu’au suicide ou à la révolte». «Un peuple qui ne crée plus est un peuple en sursis ; il attend son tour de mourir. Nous refusons ce destin». «Connaître la société pour connaître l’homme. Connaître la langue pour connaître la pensée. Car la parole est la manifestation de l’être ». Ou encore : «Que chacun arrache de son cœur l’arbre de la discorde.» Nos ancêtres jetaient à l’eau l’arbre de deuil, nous le jetterons dans le feu. Nous voulons que soit brûlée la haine, et que soit clair le chemin de notre avenir, et fraternel le cercle que nous ouvrons à tous les peuples». 

 La Nouvelle-Calédonie vient de se choisir une devise : «Terre de parole, Terre de partage» et un hymne : «Soyons unis, devenons frères». Souhaitons-lui de réussir sa transition politique conformément à ses vœux.

L’exposition KANAK, l’Art est une parole, sera présentée à Nouméa du 15 mars au 15 juin 2014.

Par Michel GRANDGUILLOT  

(1) Accords de Matignon signés en 1988 entre Jean-Marie Tjibaou, indépendantiste, Jacques Lafleur, député anti-indépendantiste et le gouvernement français de Michel Rocard. Ils ont prévu une période de développement de dix ans, avec des garanties économiques et institutionnelles pour la communauté kanak, avant que les Néo-calédoniens n’aient à se prononcer sur leur indépendance.

(2) En 1998, l’accord de Nouméa, signé par le premier ministre Lionel Jospin repoussa l’autodétermination jusqu’à une période située entre 2014 et 2018 et prononça un transfert progressif de compétences dans un certain nombre de domaines jusqu’en 2014 vers le territoire de Nouvelle Calédonie (sauf la défense, la sécurité intérieure, la justice, la monnaie. En matière de politique étrangère il a été prévu d’associer la Nouvelle-Calédonie aux actions de coopérations régionales).

 Musée du quai Branly

222, rue de l’université 75443 Paris cedex 07

Tel : 01 56 61 70 00

Entrées possibles :

. Entrée Debilly : 37 quai Branly, face à la passerelle Debilly,

. Entrée Université : 218 rue de l’Université, entre la librairie/boutique et les bassins,

. Entrée Bassins, 206 rue de l’Université

www.quaibranly.fr

 Les photos ont été fournies gracieusement par le Musée du Quai Branly

Exposition Kanak, "L'art est une parole" au Musée du quai Branly à Paris
Exposition Kanak, « L’art est une parole » au Musée du quai Branly à Paris

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