Arts

« Rochers de lettrés », une invitation à la méditation

La très belle exposition du Musée Guimet nous invite à plonger dans l’intimité des cabinets des lettrés chinois pour découvrir le lien profond qu’ils entretenaient dans un espace secret et fermé avec toutes les puissances de l’univers. Puissances qui vibraient à travers chaque élément de la nature, minéral ou végétal.

Sous l’inspiration de Confucius se développa un mode de recrutement de fonctionnaires qui n’était plus fondé sur la naissance mais sur les études et la compétence. Ainsi surgirent les lettrés qui recevaient une formation très ardue à la calligraphie et aux classiques. Ils étaient recrutés par le biais d’un concours impérial à partir de la dynastie Han (221 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.).

"Les Rochers des Lettrés" au Musée Guimet
« Les Rochers des Lettrés » au Musée Guimet

Pour Confucius, ce métier était l’un des plus désirables et, en Chine, devenir fonctionnaire était un des trois bonheurs et signifiait être placé sous l’égide du Dieu des fonctionnaires. Mais ce métier était aussi ingrat, exigeant, et réclamait de grands efforts. Pendant les périodes troubles, notamment à la fin de la dynastie Han, les fonctionnaires – de haut rang ou non – qui souhaitaient garder leur indépendance, au moins partiellement, cherchèrent à renouer avec une quête de plénitude en faisant fi des protocoles sociaux et des dogmes. Ce fut le cas de Sept Sages qui éprouvèrent le besoin de se retirer du monde temporairement pour s’adonner aux activités qui épanouissaient leurs esprits : contempler la nature, jouer de la cithare, composer des poèmes, regarder des peintures et avoir des conversations entre amis sur des sujets philosophiques.

 

Les nobles lettrés chinois se retiraient pour contempler la Nature
Les nobles lettrés chinois se retiraient pour contempler la Nature

 

Ils furent un exemple pour les générations futures de lettrés. Parfois ils se retiraient à moitié dans leurs cabinets de travail, devenant des «reclus à demi», inspirés d’un courant taoïste qui disait qu’il suffit de disposer d’une «chambre pure» pour devenir un sage immortel, même en ville. Leur studio était fermé aux bruits du monde et donnait souvent sur un jardin intérieur. Le mobilier était choisi avec goût ainsi que tous les objets du lettré, parmi lesquels des pierres pouvaient prendre une place importante. Le moindre objet était choisi avec le plus grand soin pour sa perfection esthétique : du pot à pinceaux à la pierre d’encre ; du brûle-parfum à la longue cithare à sept cordes ou du sceptre ruyi au chasse-mouche, deux objets qui étaient des outils de discours. Qu’ils soient en bois ou en pierre, qu’ils imitent grottes et montagnes, ils étaient avant tout source d’inspiration et de communion avec la quintessence de la nature.

 Les rochers, miniatures de la montagne

Pourquoi les rochers avaient une si grande importance ? Le commissaire de l’exposition, Catherine Delacour explique que les pierres portent en elles-mêmes un condensé de toutes les transformations du qi (le souffle primordial) à travers les alternances du yang et du yin. Ce sont les os de la terre, miniatures de la montagne. Montagne qui est elle-même un macrocosme, lieu de résidence des Immortels. En reproduisant par les rochers, dans une pièce d’eau d’un jardin, les trois îles montagnes de la cime de l’Est, on s’attachait par magie sympathique le pouvoir des Immortels qui détenaient l’élixir de longue vie. Un bel exemple de ces pierres inspiratrices est un écran de table présent dans l’exposition, qui prédispose à la philosophie. Il est inspiré du chapitre 28 de Lao Tsé qui dit «Discerne le blanc, maîtrise le noir, fais-toi exemple au monde, ce faisant de bonté jamais ne manqueras et tu feras retour au sans limite». Se connaître et se maîtriser en développant modestie et simplicité permet de s’élever au dessus des affaires de ce monde.

Les rochers, miniatures des montagnes
Les rochers, miniatures des montagnes

La dernière partie de l’exposition présente des œuvres contemporaines, en particulier celles de Liu Dan. La première est un dictionnaire chinois monumental peint à l’aquarelle. Le modèle est un mini-dictionnaire édité avant la Révolution culturelle. Cet emblème du savoir chinois, en langue chinoise non déformée par l’idéologie politique et l’usage de la technique occidentale de l’aquarelle, est celui de la foi profonde de Liu Dan, en un avenir qui s’appuierait sur la tradition, tout en la respectant et en lui offrant des perspectives d’ouverture, abolissant les frontières pour une création artistique.

C’est aussi le message que l’esprit des lettrés n’est pas mort en Chine et qu’après un fort déracinement et attrait pour l’Occident et la modernité, un retour aux sources peut se faire jour tout en s’adaptant à la réalité actuelle. Le jeu des alternances constantes des forces en mouvement du yin et du yang continuent à produire des concentrations du qi qui donneront à leur tour inspiration et force aux générations futures.

Cette très belle exposition nous invite à un retour sur nous-mêmes et au-delà de notre regard occidental, à nous sentir proches de l’universalité, de cet attrait pour la force d’immortalité qui se dégage des pierres, de cette quête d’absolu. Cette quête nous rapproche de notre profonde racine d’humanité, celle que nous devons cultiver et développer encore une fois, avec un esprit philosophique dans les temps troubles que nous parcourons.

 Par Laura WINCKLER
Voir article de Laura Winckler : La nature dans le miroir du Tao, revue Acropolis n° 203
Site Guimet : www.guimet.fr
Catalogue de l’exposition : Rochers de lettrés, Itinéraires de l’art en Chine, Ed RMN, 2012
Exposition au Musée Guimet à Paris
Rochers de lettrés, itinéraires de l’art en Chine
Du 28 mars au 25 juin 2012

 

 

 

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