Histoire

Nelson Mandela Le pardon et la réconciliation

Le 5 décembre 2013, le père de la Nation «Arc-en-ciel», Nelson Mandela s’est éteint à Johannesburg, en Afrique du Sud, à l’âge de 95 ans. Ce fut l’un des plus grands hommes que l’humanité ait connu au XXe siècle. Malgré ses vingt-sept années de privation de liberté, il a prôné le pardon et la réconciliation.

Jamais un homme n’a suscité un tel consensus autour de lui. Nelson Mandela est devenu une légende et un mythe car son destin fut inextricablement lié à celui de l’Afrique du Sud.
«Je ne suis pas un messie, seulement un homme ordinaire dont des circonstances extraordinaires ont fait un leader» dit Nelson Mandela. Sa détermination et sa persévérance le conduisirent à aller au bout de ses convictions et à rester intègre, malgré les circonstances, afin de mener à bien sa mission : redonner à son peuple la dignité et tenter de construire une nation Unie.

2014-11-20_Johannesburg_Nelson_Mandela_Square_03_anagoriaUn fauteur de troubles

Rolihlahla Mandela, dont le nom de clan tribal est «Madiba» était le fils d’un prince déchu de la famille Thembu (peuple d’Afrique du Sud parlant la langue xhosa) et appartenant à la nation des Xhosa (ethnie d’Afrique du Sud qui avec les Zoulous, se révoltèrent contre la colonisation des Boers, colons blancs d’origine néerlandaise appelés plus tard les Afrikaners). Son prénom Rolihlahla signifiant «fauteur de troubles», présageait déjà la nature peu conforme de cet homme qui toute sa vie lutta contre l’injustice et l’inégalité.

Devenu jeune adulte, Nelson Mandela entra à l’université de droit de Fort Hare, seule université à accepter des Noirs. Il y rencontra celui qui allait devenir son ami et son compagnon d’armes, Olivier Tombo. À partir de cette époque, il défendit la cause des Noirs qui subissaient en Afrique du Sud la politique de ségrégation raciale, l’apartheid (1), entreprise par les Blancs ; IL commença par des actions-non-violentes, inspirées par Gandhi (2), pour lutter contre l’instauration des lois rigides de l’apartheid émises par Hendrik Verwoerd, sénateur puis ministre des affaires indigènes. Il passa ensuite à la lutte armée avec la ligue de jeunesse de l’A.N.C., faction radicale, entraînée militairement, qui mena des actions musclées dans tout le pays : grèves, sabotages, attentats, guérillas, terrorisme avec pour cibles les institutions administratives et policières. Il fut condamné en 1962 puis de nouveau en 1964 à faire de la prison à vie, pour actes de sabotage, terrorisme, liens présumés avec les communistes, complot d’invasion avec l’étranger et trahison. Il fit une déclaration pour sa défense, manifestant les raisons profondes de ses actes : «J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle toutes les personnes vivraient en harmonie, avec des chances égales. C’est un idéal que j’espère voir se réaliser. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.»
Nelson Mandela fut incarcéré sur l’île de Robben Island, au large du Cap. Il avait 44 ans.

Rester debout

En prison, son numéro de matricule était le 46664. Malgré ses conditions de détention difficiles, Nelson Mandela faisait quotidiennement des exercices pour durcir ses muscles, et parcourait des milliers de kilomètres dans sa cellule minuscule. «Les fortes convictions sont le secret de la survie» écrivit-il dans ses mémoires (4). Un poème de l’époque victorienne, Invictus (5), écrit par William Ernest Henley, l’aida à rester debout, quand sa seule envie était de rester coucher.
Même en prison, il resta fidèle à lui-même, à ses idées, et aidait les prisonniers à supporter les conditions carcérales : il parlait avec eux de politique, de poésie, de littérature, les aidait sous le manteau à plaider leur appel et écrivit même au Premier ministre pour réclamer des conditions de détention meilleures. Il chercha à comprendre les Afrikaners et pour cela apprit leur histoire, leur langue et leur littérature, «parce qu’un jour, dit-il, il faudra que tous les peuples de notre pays, Afrikaners compris, se comprennent pour vivre ensemble». Il avait déjà l’ambition de rassembler son peuple autour d’une unité nationale.

Garder son intégrité

Nelson Mandela resta toute sa vie intègre, malgré les circonstances, malgré ce qu’il vivait. À partir des années 1976, le gouvernement sud-africain entama des négociations de libération avec lui, à condition que Nelson Mandela renonçât une fois libre, à la lutte armée. Ce que Mandela refusa à plusieurs reprises. Son fils Zindz lut un communiqué au stade Jabulani de Soweto : «La négociation est l’apanage des hommes libres ; les prisonniers ne sauraient s’engager. Je refuse de m’engager tant que vous, le peuple et moi, ne seront pas libre. Votre liberté et la mienne sont indissociables. Je reviendrai.»

Une mobilisation nationale et internationale

L’incarcération de Nelson Mandela entraîna une mobilisation nationale et internationale pour réclamer sa libération. L’Assemblée générale de l’ONU vota des sanctions contre l’Afrique du Sud, notamment l’embargo sur les ventes d’armes en direction de ce pays et déclara l’apartheid crime contre l’humanité. Pendant que la guerre civile déchirait l’Afrique du Sud et que le gouvernement sud-africain tentait de rallier les Zoulous pour contrebalancer l’action de l’A.N.C, les pays étrangers durcirent les sanctions vis-à-vis de l’Afrique du Sud et les entreprises américaines durent se retirer d’Afrique du Sud.
De prison, Nelson Mandela reçut le prix Ludovic-Trarieux pour son engagement en faveur des droits de l’homme (6). L’opinion publique internationale salua le courage et la détermination d’un homme qui avait déjà passé vingt-trois ans en prison et qui ne baissait pas les bras.

Une libération sans condition

À partir de 1986 les conditions de détention de Nelson Mandela s’adoucirent, certainement sous la pression de l’opinion internationale mais également parce que le gouvernement sud-africain avait compris l’importance politique qu’il représentait pour l’avenir du pays. Le gouvernement sud-africain reprit ses négociations avec lui. La pression internationale devenait plus intense. Un concert de musique pop et rock, demandant la libération de Nelson Mandela fut organisé à Wembley en 1988, pour son 70ème anniversaire. Après la chute du mur de Berlin en 1989, l’apartheid fut déclaré inacceptable par les démocraties occidentales, les Afrikaners furent boycottés et ne purent participer aux tournois internationaux de rugby. Le remplacement de W. Bohta par Frédérik de Klerk à la présidence d’Afrique du Sud bouleversa le destin de Nelson Mandela. Après d’ultimes négociations, Frédérik de Klerk libéra Nelson Mandela, 19 février 1990. Nelson Mandela avait 71 ans et avait passé 27 ans et 190 jours en prison.

La naissance de la nation «Arc-en-ciel»

Le 30 juin 1993, Mandela signa avec Frédérik de Klerk la fin définitive de l’apartheid. Les deux hommes reçurent le prix Nobel de la paix.
Le 27 avril 1994, Mandela fut élu président d’Afrique du Sud et intronisé le 10 mai 1994. Il avait 76 ans. La plupart des dirigeants politiques de la planète approuvèrent cette nomination.
Dans son discours d’investiture, il dit : «[…] Nous, le peuple d’Afrique du Sud, nous sentons profondément satisfaits que l’humanité nous ait repris en son sein, et que le privilège rare d’être l’hôte des nations du monde sur notre propre terre nous ait été accordé, à nous qui étions hors-la-loi. […] Le temps est venu de panser nos blessures. Le moment est venu de réduire les abîmes qui nous séparent. Le temps de la construction approche. […] Nous avons triomphé dans notre effort pour insuffler l’espoir dans le cœur de millions de nos concitoyens. Nous prenons l’engagement de bâtir une société dans laquelle tous les Sud-Africains, blancs ou noirs, pourront marcher la tête haute sans aucune crainte au fond de leur cœur, assurés de leur droit inaliénable à la dignité humaine – une nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et avec le monde.»
Cette idée de «nation arc-en-ciel» fut inspirée à Nelson Mandela par l’archevêque anglican Monseigneur Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984 (7) qui rêvait d’associer les différentes communautés d’Afrique du Sud en un nouvel ensemble.

Nelson Mandela présida le premier gouvernement non racial du pays, un gouvernement d’unité nationale composé des membres de l’A.N.C., du parti national et du parti zoulou. Le
Le 27 avril devint jour de liberté en Afrique du Sud. Nelson Mandela élabora avec Frédérik de Klerk une nouvelle constitution pour l’Afrique du Sud et conclut avec l’A.N.C. la fin de la lutte armée.

Le concept de «l’Ubuntu»

Mandela avait l’ambition d’une nation Une pour l’Afrique du Sud. Il voulait retisser les liens coupés, réunir dans l’unité les hommes qui avaient été divisés et aplanir toutes les différences.
Ce profond amour pour l’humanité a été inspiré à Nelson Mandela par la philosophie centrale de la culture Xhosa, qu’il avait reçue depuis son enfance : l’Ubuntu (8), pratiquée entre autres par les Zoulous et autres peuples bantous (9). Le mot bantou signifie «humanité», «gratuité», «générosité», «fraternité», «je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous». Il implique un sentiment d’appartenance à une humanité plus vaste et un sentiment de réciprocité des uns vis-à-vis des autres. L’Ubuntu s’oppose à l’égoïsme et à l’individualisme. Un proverbe Zoulou illustre parfaitement ce concept : «Un individu est un individu à cause des autres individus. Nous sommes les autres». Cette notion d’Ubuntu influença toute sa vie Mandela et on la retrouva dans la charte de l’A.N.C, dans la constitution de l’Afrique du Sud et dans l’hymne du pays.

Le pardon et la réconciliation

«Le pardon libère l’âme et il fait disparaître la peur, c’est pourquoi le pardon est une arme si puissante» dit-il. «Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi et cet ennemi devient votre associé» (10). «Personne ne hait en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau ou de son passé – ou de sa religion –. Les gens doivent apprendre à haïr s’ils peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer, car l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que son contraire» (11).
Équanime et serein, Nelson Mandela refusait la vengeance et invoquait le pardon et la réconciliation. Le passé est le passé, il voulait aller de l’avant. C’est ainsi qu’il rencontra les femmes de l’ancien gouvernement partisan de l’apartheid en signe de paix. Il constitua la commission «Vérité et Conciliation», présidée par Monseigneur Desmond Tutu, pour dénoncer les crimes commis au nom de l’apartheid. Les accusés, s’ils se confessaient, pouvaient obtenir une amnistie et se réconcilier avec leur communauté, sinon ils étaient condamnés. Cette commission servit d’exemple pour d’autres pays, comme en Amérique latine ou en Afrique (Maroc, Libéria, Togo).
Enfin, pour rallier la majorité noire aux Afrikaners, Nelson Mandela encouragea les Sud-Africains noirs à soutenir l’équipe de rugby afrikaner des Springboks (gazelles) lors de la coupe du monde de rugby de 1995 (12). L’Afrique du Sud remporta la victoire et Nelson Mandela revêtit le maillot vert et or de l’équipe et salua le capitaine de l’équipe François Pienaar. Cet événement, auquel personne ne croyait, fut perçu comme un symbole de réconciliation entre Noirs et Blancs d’Afrique du Sud.

Au niveau international, Nelson Mandela rétablit les relations diplomatiques avec les pays qui avaient dénoncé l’apartheid et devint médiateur international dans les conflits internationaux. Il devint également ambassadeur de conscience pour Amnesty International.

Depuis 2009, l’O.N.U a institutionnalisé le Mandela Day, célébré le 18 juillet, anniversaire de la naissance de Nelson Mandela. Pendant cette journée, chaque citoyen est amené à consacrer soixante-sept minutes de son temps à une œuvre au service de la collectivité, en mémoire des soixante-sept années que Mandela a voué à sa lutte pour l’égalité.

Ainsi l’exemple de Nelson Mandela doit nous inspirer pour accepter les différences, considérer l’autre comme notre égal, savoir pardonner, dialoguer pour aller de l’avant.

Auteur : Marie-Agnès LAMBERT

(1) Néologisme afrikaans qui veut dire «séparation». Il désigne le régime officiel de ségrégation raciale mis en place par Daniel Malan, Premier ministre de la république d’Afrique du Sud en 1948 et qui limita sévèrement la liberté des Noirs, des indiens et des métis, au profit de la minorité blanche
(2) Mahatma Gandhi (1869-1948) dirigeant politique, guide spirituel de l’Inde et du mouvement de l’indépendance de ce pays par la politique de la non-violence. En 1893, il s’installa en Afrique du Sud, où il organisa des mouvements de résistance non-violente. Il séjourna en prison et quitta définitivement le pays en 1913
(3) A.N.C. (African National Congress), parti politique d’Afrique du Sud membre de l’Internationale socialiste, fondé pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche
4) Un long chemin vers la liberté : Autobiographie, Nelson Mandela, traduit de l’anglais par Jean Guiloineau, éditions Fayard, 1995, 569 pages
(5) Invictus, voir encadré
(6) Créé par l’Institut des droits de l’homme du barreau de Bordeaux et récompensant un avocat étranger luttant contre la défense des droits de l’homme
(7) Auteur de la théologie sur l’Ubuntu. En anglais : Reconciliation : The Ubuntu Theology of Desmond Tutu, Michael Jesse Battle, Pilgrim Press, 2009, 256 pages
(8) Voir éditorial de Fernand Schwarz dans la revue Acropolis n°248, décembre 2013
(9) Mot signifiant «humain» dans la langue Kongo et désignant un ensemble de peuples parlant les langues dites bantoues, notamment en Afrique du Sud
(10) Un long chemin vers la liberté : Autobiographie, Nelson Mandela, traduit de l’anglais par Jean Guiloineau, éditions Fayard, 1995, 569 pages
(11) Un long chemin vers la liberté : Autobiographie, Nelson Mandela, traduit de l’anglais par Jean Guiloineau, éditions Fayard, 1995, 569 pages
(12) Invictus, film sur Nelson Mandela réalisé en 2009 par Clint Eatswood et dans lequel Mandela et François Pienaar, capitaine de l’équipe sud-africaine de rugby, les Springboks, firent cause commune pour mener l’équipe à la victoire de la coupe du monde de rugby et réunir le peuple sud-africain autour du sport

Sailing yacht on the raceInvictus

Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,



Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,



En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,

Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.

Poème de William Ernest Henley, Traduction pour le film Invictus


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