Société

Comment vous sentez-vous et comment sentez-vous le monde ?

Arne Næss, philosophe pratique du XXe siècle, s'intéressa au bouddhisme et gravit le Tirich Mir(mont de l'Himalaya en 1954 et 1960).
Arne Næss, philosophe pratique du XXe siècle, s’intéressa au bouddhisme et gravit le Tirich Mir (mont de l’Himalaya) en 1954 et 1960).

Par les temps qui courent, cette double question ne peut être que d’actualité. Elle est posée par un grand philosophe norvégien Arne Næss, décédé à presque cent ans en 2009.
C’était un philosophe pratique. À sa pratique intellectuelle orientée par la pensée de Spinoza, mais également à la fin de sa vie par le bouddhisme, s’ajoute sa vocation d’alpiniste confirmé qui dirigea la première expédition gravissant le Tirich Mir (mont situé au Pakistan dans l’Himalaya, à plus de 7700 m d’altitude, qu’il gravit en 1950 et 1964). Il retira de ses expériences l’expression que l’être humain devait apprendre à « penser comme une montagne », au centre de soi-même et au sommet, reprenant l’idée que la véritable évolution dans la vie est une lente mais inexorable ascension.

Arne Næss est le créateur du concept de l’écologie profonde qu’il distingua de l’écologie superficielle — dont l’objectif central serait la santé et l’opulence des individus dans les pays développés — alors que le mouvement de l’écologie profonde s’éloigne d’une vision strictement anthropocentrique, pour en proposer une qui englobe la vie elle-même. Il ne croyait pas qu’on puisse résoudre les dérèglements de la Terre (climat, famine,..) avec la haute technologie mais par une modification du mode de vie des sociétés humaines.

Deux ouvrages importants de sa pensée furent publiés cette année : La réalisation de soi, Gandhi, Spinoza, le bouddhisme et l’écologie profonde (1), et surtout Une écosophie, Introduction à l’écologie profonde (2).
Comme la plupart des commentateurs l’ont exprimé, cette figure majeure de la philosophie norvégienne du XXe siècle, également l’un des grands philosophes du siècle traversa son purgatoire à la suite du pamphlet publié par Luc Ferry dans les années 92 : Le nouvel ordre écologique l’arbre, l’animal et l’homme (3). Ce temps est désormais révolu.
Une lecture excessivement réductrice, comme l’a très bien démontré Fabrice Flipo, nous a éloignés pendant des décennies de cette approche qui nous donne des clés pour mieux répondre à nos questions légitimes sur nous-mêmes et le monde.

Arne Næss propose une thèse sur la nécessité de l’extension de la réalisation de soi. Celle-ci est composée de deux grandes idées connexes : d’une part l’acquisition de sa propre identité implique de repousser les limites traditionnelles de l’individuation personnelle et conduit à l’identification avec toutes les autres formes de vie ; d’autre part, cet élargissement de la conscience permet à chacun de s’éprouver comme élément de la vie universelle.
Ces deux idées correspondent à une « réalisation de soi » comprise comme le développement de ses propres potentialités. En sortant de ses propres limites, nous devenons capables d’actualiser nos propres potentialités et donc de nous transformer. Cette réalisation de soi passe par la médiation avec tous les autres êtres vivants, individus, entités du monde naturel, systèmes écologiques… Ainsi, pouvons-nous parvenir à une forme d’empathie et de compréhension, inspirées par le sentiment de notre appartenance à un même destin évolutif. Cette compréhension dépasse donc la dimension intellectuelle, comme l’explique Næss. L’individu l’éprouve pour ainsi dire jusque dans sa chair et l’internalise et il réalise alors ses propres potentialités. L’égo prend part à un processus de réalisation de soi où le mot « Soi » indique la venue à l’existence d’une forme d’être qui dépasse de toutes parts les limites de l’égo personnel.
« En nous identifiant à des plus grands touts, nous prenons part à la création et au maintien de ce Tout. En cela, nous prenons part à sa grandeur ».

Nous pensons qu’avec de telles pratiques, nous pouvons mieux nous sentir et ressentir davantage le cœur palpitant du monde.

(1) Publié en mars 2017, Wildproject Editions, 350 pages
(2) Publié en avril 2017, Éditions du Seuil,
(3) Publié en 1992 aux Éditions Grasset
Par Fernand SCHWARZ
Président de la Fédération des Nouvelle Acropole

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