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Le labyrinthe de Chartres, une remontée vers le temps originel

Le labyrinthe de Chartres au centre de la nef de la cathédrale, (habituellement recouvert et masqué par des chaises), peut passer inaperçu pour le visiteur, comme pour nous indiquer qu’il ne dévoile son mystère qu’à ceux qui le cherchent véritablement.

Conçus à même le sol, sous forme de réseaux de méandres inextricables, ces carrelages émaillés déterminent un cheminement long et capricieux qui mène au centre du vaste dessin représenté.<
Si son parcours peut paraître aisé en ayant la vue d’ensemble, il n’en est pas de même sans vision globale. Certains labyrinthes ont même des chemins qui égarent …

De nombreux labyrinthes ont été découverts le long du bassin méditerranéen, dans des cultures différentes : de l’Égypte à l’Italie, en passant par la Grèce, la Crète, Malte et la Sicile. Ceux retrouvés à l’intérieur des cathédrales sont en général des œuvres du XIIe et XIIIe siècle, période si particulière qui vit l’épanouissement de l’Art Gothique, de l’École de Chartres, l’étude de la philosophie grecque et la présence de l’Alchimie dans la culture de l’époque comme en témoignent les très nombreux symboles s’y référant.
Le labyrinthe de Chartres est sans aucun doute le plus grand de France, mais de nombreux autres ont été détruits (Arras, Auxerre, Poitiers, Reims,…). Celui de la cathédrale d’Amiens a pu être sauvegardé comme ceux des églises de Saint-Quentin, de Bayeux.

Le labyrinthe, un mythe universel

Son origine mythique remonte à la nuit des temps. Le labyrinthe nous rappelle la grotte dont les méandres se dissimulent au regard, les entrailles souterraines et inquiétantes de la terre.  Les labyrinthes naturels sont multiples, sollicitant l’imagination humaine, qui ne cesse de les aménager, de les reproduire et de les réinventer.
Selon la plupart des traditions s’y référant, il répond à une intention d’initiation, en relation avec l’expérience du sacré.
Nous pouvons le définir comme  « le contraire de la ligne droite » que joint un point à un autre. Il n’est jamais le chemin le plus court mais peut être le plus long selon certaines formes géométriques.
Il est toujours orienté, le plus souvent du point de départ au point central et entre ces deux points, la voie peut être une ou multiple.

Le terme de « labyrinthe » semble dérivé du grec, où l’on trouve trois mots en correspondance.
Labrys : hache à double tranchant, symbolisant à la fois la fonction destructrice en tant qu’outil guerrier et créatrice en tant que socle de la charrue pour creuser la terre et ouvrir un sillon.
Labrum : fossé, sillon ouvert grâce au labrys
Lapis : pierre, roche ou matière primordiale
Ainsi le labyrinthe devient l’image du monde contenant en elle-même la dualité (espace-matière) et (temps-action) qui permet à la conscience de relier divers plans.

Thésée et le Minotaure

Très naturellement le labyrinthe (encore appelé le dédale) évoque dans l’imaginaire, celui de Crète, construit par l’architecte Dédale pour enfermer le Minotaure, animal fabuleux, né des amours illicites du taureau blanc sacré envoyé par Poséidon et de la reine Pasiphaé. À l’origine, le labyrinthe de Dédale était un grand ensemble de maisons, de palais et de jardins agencés de telle façon que celui qui y entrait ne trouvait pas la sortie. La légende se poursuit, le Minotaure, se transforme en un véritable objet de terreur. Le roi de Crète pour des raisons de guerre exige des Athéniens un épouvantable tribut ; tous les neuf ans seront donnés en sacrifice au Minotaure sept jeunes garçons et sept jeunes filles.
La troisième fois, un héros se désigne lui-même pour aller rencontrer le Minotaure, Thésée. Il pénétra à l’intérieur du labyrinthe, tua le Minotaure avec sa hache à double tranchant et réussit à en sortir grâce au fil qu’Ariane, fille du roi Minos, lui avait remis et qu’il avait déroulé soigneusement à l’intérieur pour ne pas perdre son chemin. À la sortie, Thésée avec ses compagnons effectua « la danse des grues ».

Le labyrinthe de Chartres

Il est une figure géométrique circulaire de 12,89 m de diamètre inscrite dans toute la largeur du pavage de la nef principale, entre les troisième et quatrième travées. Elle représente un tracé continu déployé de 261,55 m, partant de l’extérieur et en une succession de tournants et d’arcs de cercle concentriques, aboutissant au centre ordonnancé figurant une fleur à 6 pétales. La plaque de cuivre initiale a disparu à la Révolution ; elle aurait représenté le combat de Thésée et du Minotaure d’après certains témoignages.

Aussi nommé, « lieue de Jérusalem », la légende rapporte que lorsque les lieux saints devinrent inaccessibles, le pèlerinage à Jérusalem aurait été remplacé symboliquement par le cheminement à genoux de ce tracé complexe. Il fallait plus d’une heure pour l’accomplir, sachant que le parcours du labyrinthe marquait la fin d’un long pèlerinage à pied jusqu’à la cathédrale.

Le labyrinthe de Chartres présente de nombreuses particularités.
Son orientation est celle de l’axe de la cathédrale qui rencontre le soleil levant au solstice d’été.
C’est une remontée vers le temps des origines, lieu de naissance spirituelle.
Que l’on parte de l’extérieur ou du centre pour son retour, le chemin parcouru présente exactement le même enchaînement de tournants et d’arcs de cercle.
Ce parcours vers le point central intègre un rythme spécifique avec toutes les facettes de l’espace en commençant par la gauche, dans la direction du Nord, puis de l’Est, du Sud et de l’Ouest avec à chaque phase un retour en arrière, une sorte d’assimilation avant de rencontrer de nouveaux horizons (un mandala à conquérir) pour revenir proche du point d’origine.
Pour atteindre le centre, il est nécessaire d’en faire d’abord le tour comme nous le rappelle le sens étymologique du mot connaissance, « avoir fait le tour de la question » pour en toucher l’Essence c’est-à-dire un autre état de conscience et une autre présence au monde.

Dans une tradition médiévale, il est écrit : « trois tables ont porté le Graal : une ronde, une carrée et une rectangulaire ». Chacune de ses tables est en rapport avec une partie de l’œuvre alchimique.
Nous trouvons dans la nef, la table ronde représentée par le labyrinthe dans certaines cathédrales (Chartres, Amiens, Saint-Omer, Ravenne,…). La table carrée est à la croisée du transept avec les quatre piliers centraux et enfin la table rectangulaire est l’autel ou table des sacrifices.
Ainsi, le labyrinthe peut être associé à l’œuvre au Noir, première œuvre alchimique, décomposition, descente aux enfers, première étape de la transmutation. Pénétrer dans le labyrinthe, c’est s’identifier à  Thésée pour aller à la rencontre de sa nature profonde, y affronter son Minotaure, son instinct encore animal et le maîtriser.

Le parcours du labyrinthe, un chemin de vie

Tout le monde qui nous entoure constitue un labyrinthe. Nous n’en sommes pas conscients, pas plus que ceux qui pénétraient dans les jardins de Crète. L’angoisse de l’homme d’aujourd’hui se traduit par la peur de ce qu’il ne sait pas et par le désarroi. Le mythe nous offre une solution.
Pour pénétrer dans le labyrinthe et pouvoir en sortir, il faut d’abord s’identifier à Thésée, qui avant d’assumer la royauté sur sa ville décide de se confronter au Minotaure, c’est-à-dire de rechercher le pouvoir intérieur avant même d’obtenir le pouvoir extérieur. D’où l’importance de l’outil magique qu’il utilise, une hache à double tranchant (ou une épée dans certains récits) comme symbole de volonté de l’esprit capable de s’extraire de la matière inertielle ou instinctive (c’est l’épée extraite du rocher dans le mythe du Roi Arthur).
L’autre arme qui accompagne Thésée est le fil d’Ariane, pelote de fil donnée comme témoignage de l’Amour d’Ariane. En fait, il s’agit d’un fuseau garni de fil déroulé par Thésée à mesure qu’il pénètre à l’intérieur du Labyrinthe (symbole du lien avec son âme qui apparaît opportunément dans l’épreuve). Après avoir tué le Minotaure, il l’enroule à nouveau en une pelote pour retrouver son chemin.
Les Anciens disaient que le labyrinthe ne se parcourt pas de n’importe quelle façon ; que la manière idéale de le parcourir est en dansant ou en faisant des pas qui décrivent des figures, des figures rituelles et magiques…
Nous devrions en quelque sorte, danser tout au long de la vie, appelant ainsi le processus d’évolution.

Parcourir le labyrinthe et en sortir reste le problème humain. Les armes de Thésée peuvent être nos armes et ce héros est aussi en nous.

Bibliographie
La tradition cachée des cathédrales, Jean Pierre Bayard, Éditions Dangles
Découvrir Notre Dame de Chartres, André Trintignac, Éditions du Cerf
L’esprit du compagnonnage, Jean Pierre Bayard, Éditions Dangles
Revue Nouvelle Acropole N° 61-62, (mars-août 1981), L’Alchimie- La symbolique du labyrinthe, Laura Winckler
Revue Nouvelle Acropole N° 134 (novembre-décembre 1993), La symbolique animale – Le labyrinthe, Delia Steinberg Guzman
Encyclopédie Universalis, article sur le labyrinthe
par Dominique DUQUET

À lire

Symbolique des Cathédrales
par Félix SCHWARZ
Photographies de David BORDES
Édition du Palais, 2019, 184 pages, 25 €

C’est une réédition du livre paru en 2012, dans un plus grand format qui aborde les grandes cathédrales de France sous l’angle du langage symbolique. Les cathédrales sont une image réduite de la Création avec les trois niveaux de l’univers : le Ciel, la Terre, le Monde souterrain. Une promenade culturelle et touristique à travers la France des cathédrales et un parcours initiatique, de Saint-Denis, qui vit naître l’art gothique, à Notre-Dame de Paris, bâtie à l’image de la Jérusalem céleste… On appréciera d’autant plus ce livre depuis que la cathédrale Notre-Dame de Paris a été ravagée en avril 2019 par un terrible incendie qui a détruit des éléments architecturaux qui avaient traversé les siècles. Un témoignage de Notre-Dame de Paris d’avant.

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