Philosophie

Hommage à Jorge Angel Livraga, la philosophie à la manière classique (2)

Le 7 octobre 2021 a été célébré le trentième anniversaire de la mort de Jorge Angel Livraga. En 1957 il a fondé le mouvement international Nouvelle Acropole (OINA) et à sa mort, Délia Steinberg Guzman lui a succédé jusqu’en 2021 pour développer l’école de philosophie à la manière classique, c’est-à-dire une école de philosophie pratique.

En 1987, Délia Steinberg Guzman a accordé un entretien à Jorge Angel Livraga dans lequel elle l’a interrogé sur l’esprit, le fonctionnement et l’objectif du mouvement qu’il a fondé (1). En octobre 2021, la revue Acropolis a publié un premier extrait (2). Nous publions aujourd’hui un second extrait apportant des précisions et des éclaircissements sur les intentions du fondateur.

Délia Steinberg Guzman : Toutes tes religions peuvent-elles entrer à Nouvelle Acropole ?

Jorge Angel Livraga : Toutes le peuvent, parce que les religions ne sont rien de plus que des formes exotériques d’une vérité unique. Qui a lu et étudié soigneusement tous les livres religieux aura vérifié que les religions sont des adaptations historiques et géographiques d’une unique Vérité qui s’exprime chez les peuples de façons différentes.

Quant à nous, nous cherchons la vérité, pas son « emballage » ; c’est le contenu qui nous importe.

Il n’empêche que si quelqu’un de ceux qui viennent à Nouvelle Acropole professe une religion, personne ne s’y opposera, à condition qu’il ne se livre pas à l’intérieur de Nouvelle Acropole à un prosélytisme qui ferait que ceux qui suivent d’autres religions se sentent rejetés. Nous ne voulons rejeter personne : que tous viennent, que tous restent, que tous puissent développer cet idéal philosophique.

D.S.G. : Dans ce cas, plutôt que d’une religion, pourrait-on parler d’une philosophie religieuse ?

J.A.L. : Parler de philosophie religieuse est également dangereux aujourd’hui, parce qu’on pourrait nous inclure dans le chapitre des « sectes ». Ainsi va la mode. Nouvelle Acropole n’est ni une secte ni un mouvement religieux : c’est une école de philosophie à la manière classique.

D.S.GEt pourrait-on parler d’une philosophie politique ?

J.A.L: Elle n’est pas non plus politique au sens actuel. Quand Platon parlait de politique, il se référait à tout ce qui concernait les hommes rassemblés dans une cité. Si nous l’employons dans ce sens, nous pouvons dire que nous avons un intérêt politique concernant l’édification d’une polis, d’un groupe humain. En revanche, cela n’est pas conforme au critère actuel, qui entend par politique des partis orientés dans l’un ou l’autre sens.

D.S.G.: Existe-t-il à Nouvelle Acropole une discipline particulière concernant la manière de vivre, la nourriture, les vêtements, les horaires d’exercices, etc. ?

J.A.L: Il n’existe aucune formule qui puisse limiter la liberté de l’homme ; nous sommes respectueux de la liberté individuelle.

Nous proposons, c’est vrai, un plan d’études, un plan de réflexions, un ensemble d’exemples plutôt que des normes de vie, pour éloigner la jeunesse de la violence, des drogues, de l’inaction complice. Mais nous ne donnons pas de règles obligatoires. Au contraire, nous essayons d’éveiller (c’est le véritable sens de l’éducation), d’éduquer ce qu’il y a de bon, de beau, à l’intérieur de chacun.

D.S.GNouvelle Acropole offre-t-elle une forme d’initiation ?

J.A.L: Si on entend par initiation l’ouverture, le début d’un chemin, oui, comme l’offre par exemple la faculté de médecine quand elle initie le candidat à l’anatomie, la pathologie, etc. Si on entend par initiation ce qui est tant à la mode aujourd’hui : un ensemble de croyances plus ou moins absurdes s’appuyant sur des phénomènes parapsychologiques, non.

D.S.GSe livre-t-on à Nouvelle Acropole à des pratiques parapsychologiques et à des exercices déterminés pour éveiller des pouvoirs intérieurs ?

J.A.L: Pas pour le moment. Dans un futur lointain, peut-être. Maintenant non, parce que les hommes n’y sont pas préparés. Le matérialisme qui nous gouverne est tel qu’on croit qu’il est possible de développer des vertus spirituelles à travers des phénomènes parapsychologiques, qui ne sont que les effets et non les causes de transformation de l’être. Je crois qu’il faut aller au fond des choses et ne pas rester à la surface. Il n’est pas question d’enseigner l’hypnose à quelqu’un et de lui faire croire qu’il a atteint avec cela le ciel des justes… Il importe bien plutôt de lui apprendre à se dominer lui-même avant de prétendre dominer les autres car le contraire conduit à une des pires formes de tyrannie.

D.S.G: Comment expliquez-vous, alors, le fait qu’on associe Nouvelle Acropole à une philosophie politique ou religieuse ou, dans le langage actuel, à une secte politique ou religieuse ?

J.A.L: C’est un phénomène de notre époque, dont nous ne sommes pas les responsables mais les victimes. Il existe aujourd’hui un certain nombre d’épouvantails qu’on brandit pour couvrir les défauts des systèmes en vigueur. Il faut s’attendre à ce que les systèmes matérialistes, qui prétendent tout cataloguer avec leurs épouvantails, le fassent aussi avec nous. Et, comme nous ne relevons d’aucune des formes actuelles, ils essaient de nous apparenter à des formes anciennes. C’est ainsi qu’on nous dit « nazis », « orientalistes », « spirites », etc.

D.S.G. : Pourquoi ne lie-t-on pas Nouvelle Acropole à l’art et à la science, alors que la majeure partie des activités qu’on y réalise sont précisément de type philosophique, artistique et scientifique ?

J.A.L: Le monde actuel, avec ses failles et ses structurations matérialistes, nous combat évidemment. Dans ce combat, reconnaître que nous avons des intérêts artistiques et scientifiques rendrait notre position plus acceptable. Pour la rendre plus inacceptable, on nous met en relation avec ce qui est considéré comme dépréciateur. Il est plus facile de dire que Nouvelle Acropole est un groupe néo-nazi qu’une association qui s’intéresse à la science, à la religion, à l’art, à la politique, qui peut étudier toutes les formes qui ont existé dans l’Antiquité et se projeter dans des formes à venir.

D.S.G: Que pensez-vous des détracteurs de Nouvelle Acropole ?

J.A.L: Je pense qu’ils perdent leur temps, puisque nous ne commettons aucun délit moral. Leurs paroles peuvent ébranler certaines personnes, elles peuvent créer des problèmes d’ordre secondaire, elles peuvent emplir des pages de la presse du cœur ou de revues d’actualité ; mais elles ne peuvent faire plus, elles ne peuvent toucher l’esprit de Nouvelle Acropole.

D.S.G. : Et que pensez-vous de ceux qui vous suivent ?

J.A.L: Tout d’abord, ils ne me suivent pas. Je n’ai jamais eu la prétention que personne me suive. Ils partagent simplement une idéologie que je partage également. Ils ne me suivent pas : ce sont mes disciples.

Il y a une différence entre celui qui suit et un disciple : le premier répète de façon automatique et mécanique ce que lui indique le chef d’un groupe ou d’une secte ; le disciple qui appartient à une école de philosophie trouve son inspiration dans les enseignements de son maître, dans les vérités qu’il apprend, jusqu’à arriver à interpréter le monde d’une façon nouvelle et meilleure.

D.S.G. : Remarquez-vous des changements importants dans le monde entre le moment où vous avez fondé Nouvelle Acropole et aujourd’hui ?

J.A.L: Oui, très importants ; en général, le monde souffre d’une détérioration morale. De plus, le monde est atteint d’un complexe de frustration important, parce que le matérialisme, dans toutes ses acceptions, lui a promis un nouvel Âge d’Or. Lorsque j’étais enfant, on disait qu’en l’an 2000 il n’y aurait plus de pauvres, que personne ne manquerait de travail ou d’argent, qu’on pourrait prendre des vacances sur la Lune ou sur Mars, que l’analphabétisme aurait disparu… Et nous nous retrouvons aujourd’hui avec la moitié du monde qui ne sait ni lire ni écrire, la moitié du monde meurt de faim, deux hommes en tout et pour tout ont marché sur la Lune il y a quinze ans et il n’est plus possible, pour le moment, de poursuivre la conquête spatiale ; il y a toujours plus de délinquants, l’injustice et l’oppression se manifestent de façon toujours plus radicale. Je vois que le monde se détériore rapidement, et cela justifie encore davantage le fait que je consacre toutes mes énergies, dans les années qui me restent, à consolider Nouvelle Acropole…

Si je n’avais pas été à l’origine de ce mouvement, quelqu’un d’autre l’aurait été. Car je crois que ce mouvement est une nécessité historique, plutôt qu’une création humaine…

(1) Article réalisé d’après un entretien publié dans la revue N° 128 (novembre-décembre 1992)
(2) Publié dans la revue Acropolis N° 332 (octobre 2021)
N.D.L.R. : Le chapeau a été rajouté par la rédaction

Vient de paraître
Comment s’incarnent les rêves
par Jorge Angel LIVRAGA
Éditions Nouvelle Acropole, 2021, 288 pages, 17 €

Lire un extrait du livre page 31 de la revue
Propos recueillis par Délia STEINBERG GUZMAN
Présidente d’honneur de Nouvelle Acropole 
© Nouvelle Acropole

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