Histoire

Les entretiens

Extraits choisis d’entretiens de grandes personnalités du passé et du présent effectués par la revue Acropolis.

Entretien avec
Gilbert Durand (1947-2012), fondateur du Centre de recherche sur l’imaginaire

Que sont devenus le mythe et l’imaginaire en Occident ?

« On peut dire qu’il y avait dans le passé, une régularisation du Mythe par les grands systèmes religieux fondateurs de l’Occident,  » triadisme  » romain, judaïsme, protestantisme, catholicisme, orthodoxie orientale.  C’étaient des systèmes régulateurs. […] Lorsqu’apparurent le « Kulturkampf », le positivisme français et le pragmatisme anglo-saxon, il y eut une démythologisation généralisée. Même pour les Églises, le Mythe était quelque chose qu’il fallait expulser pour en revenir à des positivités historiques. […] J’ai recensé au moins sept configurations culturelles européennes, « sept Anges » qui veillent aux portes de l’Occident : l’ange juif, l’ange hellénique, l’ange romain, l’ange germanique, l’ange celtique, l’ange ibérique, l’ange slave. Tout cela dessine une configuration de cultures solidaires, d’où sont nées les idéologies les plus généreuses de l’Europe. C’est le réseau solidaire de ces différences qu’il faut dégager.

Auteur entre autres des Structures anthropologiques de l’imaginaire, Éditions Dunod, 1993
Extrait de la revue N° 85 (septembre-octobre 1985)
Articles sur Gilbert Durand parus dans les revues N°85 (septembre-octobre 1985) – N° 89 (mai-juin 1986) – N° 240 (avril 2013)

Entretien avec
Jean Charon, physicien et philosophe (1920-1998)

La présence de l’esprit dans la matière.

« Je travaillais, comme beaucoup d’autres physiciens, sur une tentative d’unification des phénomènes physiques ; et j’ai constaté que la voie d’unification fournissant les meilleurs résultats… était la voie qui s’ouvrait sur un espace « complexe ». Concrètement cela signifiait que chaque particule de matière possédait une mémoire signifiante, c’est-à-dire non seulement une mémoire personnelle mais aussi une sorte de « point de conscience » pour considérer cette mémoire. Cela signifiait la fin d’une physique purement « matérialiste » puisque chaque particule de matière étudiée dans cette nouvelle physique possédait une dimension mentale.

La physique du passé reste inchangée par ma Relativité complexe, j’ouvre seulement une fenêtre sur un espace que la physique avait jusqu’ici ignoré. Un peu comme au début du XXesiècle, on ignorait le caractère ondulatoire de la matière. Je découvre aujourd’hui le caractère mental de cette même matière. »

Extrait de la revue N°86 (novembre-décembre 1985), repris dans la N°162 (mai-juin 1999)

Entretien avec
Alexandre Ruperti (1913-1988), astrologue humaniste, disciple de l’astrologue Dane Rudhyar

Replacer l’homme dans l’Univers.

« Il s’agit de replacer l’homme dans le cosmos, d’où la science l’avait sorti artificiellement, ce qui a engendré beaucoup de problèmes psychologiques. Vu l’évolution des idées, même sur le plan de la physique, cette notion d’interpénétration à travers tous les plans, permet de comprendre que le thème de naissance est une vue de l’univers, à un moment donné, dans un endroit donné, qui représente un besoin de cet univers. Nous sommes donc une représentation de ce besoin de l’univers. Notre but essentiel n’est pas limité à notre petit moi, mais c’est ce que nous avons à faire spirituellement parlant, en fonction des besoins de l’univers dont nous sommes une expression potentielle. […] »
« Pour Rudhyar, le facteur essentiel dans une vie humaine est l’accomplissement du dharma, de sa nature fondamentale, du but essentiel de sa naissance. Vouloir l’immobilité, c’est fuir le changement. Être pleinement ce qu’on est,est une activité dynamique. C’est pourquoi l’unique recommandation spirituelle est toujours : « Marchez, avancez ! »»

Extrait des Actes du Colloque Dane Rudhyar, astrologue humaniste du XXesiècle (colloque organisé par Nouvelle Acropole à Paris les 5 et 6 octobre 1985)
Articles sur Dane Rudhyar et Alexandre Ruperti parus dans les revues N° 86 (novembre-décembre 1985) – N° 87 (janvier-février 1986) – N° 156 (avril-mai 1998)

Entretien avec Jean Chevalier (1906-1993)
Co-auteur du Dictionnaire des symboles, Éditions Robert Laffont, 1982

Le symbole, un langage universel.

« Le symbole, dialogue entre une influence extérieure et une réponse de l’intérieur, a une fonction fondamentale, celle de nous révéler à nous-même. Êtes-vous esclave de votre milieu culturel ou, dans le cadre de ce milieu culturel, avez-vous trouvé le moyen de découvrir ce qui vous distingue intimement et peut vous aider, en touchant à vos profondeurs, à vous transformer ? C’est la relation symbolique avec ce qui dépasse les différences qui peut entraîner une élévation des rapports entre tous les hommes jusqu’à une transformation de l’existence. C’est elle qui permet une mise en relation globale à la fois entre les différences de l’histoire et la communauté de destin. Si tout le monde accepte cette relation symbolique avec ce qu’il y a de plus beau dans le monde, la recherche de l’éternel à travers les vicissitudes du temporel.

Extrait de la revue N°125 (mai-juin 1992), repris dans la revue N°145 (février-mars 1996)

Entretien avec
Antoine Faivre, historien de l’ésotérisme occidental

Quelques notions pour définir l’ésotérisme.

« De même qu’il y a une forme de pensée théologique, une forme de pensée scientifique, une forme de pensée philosophique, il y en a une qui est ésotérique. Cette dernière possède, dans le domaine occidental, quatre éléments constitutifs communs à des courants très divers.
Le premier, c’est l’idée de correspondances dite aussi du microcosme et du macrocosme, selon laquelle il y a différents niveaux de réalité qui sont en correspondance selon un codage symbolique intérieur à la Nature. Ainsi, il y a correspondance entre les sept métaux et les sept planètes.
Le deuxième est l’idée de Nature vivante.
Le troisième est la notion d’imagination créatrice, propriété propre à l’homme de pouvoir pénétrer à l’intérieur des symboles, qui sont autant de médiations.
Le quatrième est la notion de transmutation ou d’initiation, où la mise en pratique de ce qui précède implique une transformation de l’être, sans laquelle il n’y aurait qu’un spiritualisme spéculatif. »

Extrait de la revue N°143 (mai-aout 1995)

Entretien avec
Jean Staune,
Philosophe des sciences, enseignant en philosophie, auteur de nombreux ouvrages et créateur de l’Université Inter Disciplinaire de Paris (U.I.D.)

Une nouvelle vision de la vie, au-delà de la sélection naturelle des espèces.

« Je cite dans mon livre une phrase de Brian Goodwin qui représente bien ma pensée. » Depuis 1859, le mécanisme de la sélection naturelle et la survie du plus fort se sont imposés comme la seule thèse explicative de la vie sur Terre. Les origines, les extinctions, les adaptations ont toutes été étudiées à travers le prisme du darwinisme. Or une autre explication de l’origine et de la diversité des espèces existe. […] Le darwinisme doit être remplacé par une nouvelle théorie qui admette que la complexité est une qualité inhérente et émergente de la vie et pas uniquement le résultat de mutations aléatoires de la sélection naturelle.  » Ce qu’il faut rejeter de Darwin c’est la volonté d’avoir une explication exclusive de l’évolution à partir du mécanisme de la sélection naturelle. Aujourd’hui, on peut donner une autre explication des caractéristiques des espèces, notamment par la nouvelle théorie du structuralisme. »

Extrait de la revue N° 212 (février-mai 2010)
Articles sur Jean Staune parus dans les revues N° 212 (février-mai 2010), N° 265 (juillet 2015)
Hors-série N°3 (2013), N°4 (2014)

Entretien avec
TRINH XUAN Thuan
Astrophysicien et écrivain

La poésie du Cosmos vu par un scientifique.

« Ce livre (1) est plus personnel que les précédents. Il met plus en scène ma sensibilité d’homme face à la splendeur céleste sans que je ne cesse pour autant de m’interroger sur les questions scientifiques et métaphysiques que la beauté et l’harmonie du cosmos m’inspirent. Mais la nuit n’est pas seulement scientifique et poétique. Elle peut aussi regorger de menaces. En fait, quand j’ai grandi au Vietnam, pendant les dix-huit premières années de mon existence, la nuit était souvent synonyme de guerre et de mort. Ce n’est que quand je suis allé en Suisse et en Amérique pour poursuivre mes études supérieures que j’ai appris à connaître la douceur et la paix de la nuit. La nuit est aussi le temps des amants et des rêves aussi bien que celui de la foi, Saint-Jean de la Croix (4) parle, par exemple, de la nuit mystique. Tous ces autres aspects de la nuit sont aussi abordés dans mon livre. »

(1) Une nuit, Éditions L’Iconoclaste, 2017
Extrait de la revue N°291 (décembre 2017)
Articles de Trinh Xuan Thuan parus dans les revues N° 244 (sept 2013) –  N°261 (mars 2015) – N°278 (octobre 2016)
Hors-série N°3 (2013) – N°4 (2014) –  N°5 (2015) –  N°6 (2016)

Entretien avec
Bertrand Vergely, philosophe et conférencier et auteur de nombreux ouvrages sur la philosophie

Initiation au voyage intérieur, le défi d’aujourd’hui. Devenir ce qu’on est. Passer de l’existence à l’Être.

« Il y a plusieurs façons de devenir qui l’on est. En premier lieu cela peut vouloir dire mettre du devenir dans son être et se mettre en mouvement. Une autre interprétation plus martiale serait d’accepter sa médiocrité pour se transformer. La meilleure interprétation et la plus formidable est de croire qu’il y a de l’Être en soi et qu’il faut être à sa hauteur, et alors nous sommes devant le programme de la philosophie et de la vie humaine : passer de l’existence à l’Être, ce qui serait la nouvelle la plus merveilleuse de la vie. […] Le plus grand piège qui existe est la confusion de soi avec le monde visible. […] Actuellement, la société tombe dans trois pièges : suivre ce qui plaît, suivre ce qui se fait, et suivre ce qui est efficace. Ce n’est pas parce que quelque chose plaît que cela Est, parce que cela se fait que cela doit Être, et parce que cela fonctionne que cela est forcément juste, du point de vue des principes. Notre société juge d’après les conséquences et non d’après les principes. »

Auteur de Deviens qui tu es, Quand les sages grecs nous aident à vivre,Éditions Albin Michel, 2014

Extrait de la revue n° 262 (avril 2015)
Articles sur Bertrand Vergely parus dans les revues N° 262 (avril 2015) – Hors-série N° 6 (2016)  – N°7 (2017)

Entretien avec
Satish Kumar
Activiste, écologiste, conférencier indien, partisan de la philosophie de Gandhi, directeur de la revue alternative Résurgence

Une redécouverte des liens qui unissent l’homme.

Satish Kumar soutient que le respect de la nature est le seul fil qui puisse raccommoder et tisser ensemble le tissu de l’humanité.

«  [… ] Quand tu agis avec une motivation divine, toutes tes actions deviennent le Dharma. Quand tu fais des affaires, est ce que ta motivation est de faire du profit ou de servir la communauté ? Pour des hommes comme Mahatma Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela, la politique n’était pas pour leur ego, le pouvoir ou le contrôle. Elle servait l’humanité. Peu importe ce que l’on fait, le jardinage, la cuisine, l’agriculture, l’éducation ou la médecine, si nous le faisons avec l’intention de servir, d’être plein de compassion et d’être gentil, alors même dans notre vie de tous les jours nous pratiquons le Dharma.

[… ] Le Svadharma et le rôle de chacun dans la société sont deux faces de la même pièce. Je dois trouver mon talent particulier et comment me relier à la société humaine et à la nature. Svadharmac’est trouver et affiner sa vocation intérieure pour servir la société. À travers lui, tu te relies à la société. »

Auteur de Tu es, donc je suis, Éditions Belfond (2015)
Extrait de la revue N° 283 (mars 2017)

Entretien avec
Alexandre Mourot
Réalisateur de film Le maître est l’enfant

Le maître est l’enfant, un film riche en observations et en découvertes sur la pédagogie Montessori.

«Dès les premières images tournées, j’ai été fasciné par une scène que l’on retrouve dans le film « le transvasement du riz » d’un pot à l’autre par Géraud, qui semblait captivé par cette activité. Cette scène est extraordinaire car elle est très loin de l’enseignement académique. On n’apprend pas à l’enfant les chiffres et les lettres, on lui apprend quelque chose qui semble essentiel à sa vie. Et j’ai vu à quel point Géraud était fasciné, absorbé par le mystère de cette tâche. Cette scène m’a profondément bouleversé et pour moi, elle est toujours magique, à chaque fois que je la regarde. Elle déconstruit tout ce qu’on admet couramment à propos de l’éducation et de la « transmission », tout ce qu’on propose aux enfants et comment on le propose. Dans la pédagogie Montessori, on peut ainsi montrer à l’enfant des choses quotidiennes, pour qu’il s’en imprègne, avec des gestes lents (par exemple comment remettre du papier toilettes). La qualité de la rencontre avec l’enfant et de ses besoins est quelque chose qu’il savoure et il s’en délecte.» 

Extrait de la revue N° 289 (novembre 2017)
Articles parus sur Alexandre Mourot dans la revue N° 288 (octobre 2017), N° 289 (novembre 2017)

Entretien avec
Rupert Sheldrake, biologiste et écrivain

Les éléments possibles d’une nouvelle science plus vaste de la vie qui bousculent les théories officielles scientifiques mécanicistes.

«[… ] J’ai débuté comme biologiste dans des travaux de biologie du développement à l’université de Cambridge. J’ai très vite compris qu’il n’était pas possible d’expliquer uniquement la biologie en termes de molécules et de gènes, comme l’a fait auparavant la théorie mécaniste. Une vision holistique semblait nécessaire. Déjà dans les années 1920 était apparue l’idée de champs qui façonnaient les formes, ce qu’on a appelé les champs morphogénétiques. Je m’y suis donc fortement intéressé. Je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’un nouveau type de champ et, puisque ce sont des champs biologiques et que les organismes évoluent, les champs eux-mêmes devaient renfermer une mémoire à l’intérieur d’eux-mêmes. C’est cela le concept de résonance morphique.»

Extrait de la revue N° 232 (juillet 2012)
Articles sur Ruper Sheldrake parus dans la revue N° 86 (novembre-décembre 1985) – N° 232 (juillet 2012)

Entretien avec
Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS
Chercheur français indépendant et transdisciplinaire. Éco-conseiller, expert en résilience des systèmes socio-écologiques

Comment vivre avec la menace de l’effondrement de la société industrielle et envisager un avenir.

« Le « monde d’exponentielles » est une manière de montrer par des graphiques que notre société s’est emballée. La croissance exponentielle ne se fait pas à vitesse constante, mais à accélération constante, engendrant des volumes absolument intenables compte tenu des limites physiques de la planète. Tous les indicateurs de la société sont partis en exponentielle, ce qui n’est absolument pas tenable. Cette grande accélération, comme l’appellent les scientifiques, a été nommée « anthropocène », pour reprendre un terme de géologie. C’est une époque qui marque la fin de l’holocène, une période d’environ 10 000 ans d’extrême stabilité climatique, et qui annonce une ère d’instabilité et d’incertitude. Plus rien ne sera jamais comme avant, c’est cela qu’il faut en déduire. Nous entrons dans une période nouvelle et nous avons peu d’outils pour essayer de comprendre ce que cela signifie. […]Tout le propos du livre (1) et de nos futures recherches est d’arriver à bien vivre avec l’effondrement, et non de chercher à l’éviter. […]Il est aujourd’hui nécessaire de repenser, par exemple, les concepts d’humain, de Gaïa ou de nature, et la philosophie peut nous y aider. »

(1) Comment tout peut s’effondrer ? Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS, Éditions du Seuil 2015
Extrait de la revue N° 274 (mai 2016)

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