Philosophie

Éloge de la sobriété Les conseils de Jean-Jacques Rousseau

Nous continuons notre voyage au pays des philosophes qui ont conseillé aux êtres humains un mode de vie simple et sobre. Après le philosophe grec Épicure, nous sommes maintenant avec Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), un des illustres représentants du Siècle des Lumières.

Nous continuons notre voyage au pays des philosophes qui ont conseillé aux êtres humains un mode de vie simple et sobre. Après le philosophe grec Épicure, nous sommes maintenant avec Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), un des illustres représentants du Siècle des Lumières.

Jean-Jacques Rousseau publie en 1750 le Discours sur les sciences et les arts qui lui ouvre la voie de la célébrité. C’est un vrai paradoxe, car il attaque dans ce texte la mondanité comme une perversion. C’est en fait sur les conseils de Diderot son ami que Rousseau choisit de prendre le contre-pied de l’air du temps, en ce siècle des Lumières qui glorifie le progrès, le savoir, mais aussi les apparences. Il y explique que la bonté et la simplicité naturelles de l’homme ont été corrompues par les artifices du progrès et le déclin des vertus qui l’accompagne.

Le retour vers l’authenticité

Pour Rousseau, la civilisation se confond avec le règne des salons et d’une politesse qu’il juge artificielle. En rendant compliqués les rapports entre les êtres, la société encourage le mensonge et les apparences faciles au mépris de la pureté du cœur et de l’amitié honnête.
« Qu’il serait doux de vivre parmi nous, si la contenance extérieure était toujours l’image des dispositions du cœur. » Discours sur les sciences et les arts
« Plus d’amitiés sincères ; plus d’estime réelle ; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée que nous devons aux Lumières de notre siècle. » Ibidem

Le vécu de l’interiorité

Rousseau décrit plus tard ce que peut être un bonheur essentiellement centré sur ses aspirations intérieures, loin des codes imposés par la société. D’abord dans La Nouvelle Héloïse et surtout dans les Rêveries d’un promeneur solitaire. Dernier ouvrage de Rousseau, rédigé entre 1776 et 1778, publié de manière posthume en 1782, ce texte plaide pour une solitude revendiquée, propice au retour sur soi, teintée d’un soupçon de misanthropie, diront certains !
Il y met en scène le plaisir d’une pure harmonie avec la nature, et d’un instant vécu pleinement. Un plaisir qui se place en marge d’une vie agitée. Loin d’une société qui lui est devenue hostile, Rousseau vit pendant six semaines sur une île, sur le lac de Brienne en Suisse, un bonheur parfait.
« Tout est dans un flux continuel sur la Terre. […] Aussi n’a-t-on guère ici-bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je doute qu’il y soit connu. […] Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir. […] Tant que cet état dure, celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux, non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif, tel que celui qu’on trouve dans les plaisirs de la vie mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir. » Les Rêveries du promeneur solitaire

Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix

C’est ce bonheur plein que Rousseau ressent dans ses rêveries, soit couché dans son bateau, soit assis sur les rives du lac agité. Et de quoi jouit-il dans cette situation ?
« De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence ; tant que cet état dure, on se suffit à soi-même comme Dieu. Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant peu d’instants n’en conservent qu’une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. » Les Rêveries du promeneur solitaire
Rousseau décrit une félicité que rien ni personne ne pourra lui ôter. Le paysage participe bien sûr de sa méditation. Découvrir ses trésors intérieurs comme priorité de la vie, tel est son message. Se délester du poids des regards pour s’absorber en soi-même. Les Rêveries du promeneur solitaire sont un éloge de la lenteur, du temps pris pour soi seul, contre les diktats d’une société du mouvement. Elles introduisent une sensibilité qui inspirera le romantisme, et plus tard des philosophes comme Thoreau, pour qui la contemplation intime de la nature rime avec la sagesse d’une existence vécue au jour le jour, loin de tout superflu.

Jean-Jacques Rousseau, visionnaire doté d’une grande sensibilité, est un des premiers penseurs du XVIIIe siècle à dénoncer les conséquences néfastes de la révolution industrielle et du monde artificiel qu’elle a contribué à créer, au nom de l’idéologie du progrès. 

Quelques citations de Rousseau sur la vie sobre pour notre méditation

  • « Le plus heureux est celui qui a le moins besoin de tout. » Émile, ou De l’Éducation, Livre IV
  • « Il faut avoir peu de besoins pour être heureux, non pas pour faire comme les pauvres qui ne peuvent rien s’offrir, mais pour être libre. » Ibidem
  • « La sobriété est une qualité qui permet de se contenter de peu et de vivre avec simplicité. Elle est une condition essentielle de la liberté. » Ibidem
  • « Il y a peu de choses qui nous rendent heureux, mais beaucoup de choses qui nous rendent malheureux ; nous n’avons donc pas besoin de beaucoup pour être heureux, mais il nous faut beaucoup de prudence pour éviter le malheur. » Ibidem
  • « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. Un homme véritablement libre est celui qui sait dire non aux choses dont il n’a pas besoin. » Du Contrat Social, Livre I
  • « La vraie richesse consiste non pas dans ce que l’on possède, mais dans ce que l’on est. » Lettre à M. D’Alembert, sur les spectacles
  • « Le vrai bonheur ne consiste pas dans l’abondance des richesses, mais dans la simplicité et la modération de nos désirs. » Lettre à M. de Saint-Germain
Brigitte BOUDON
Formatrice en philosophie à Nouvelle Acropole, auteur de nombreux ouvrages dans la collection « petites conférences philosophiques »
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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