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Société

« Au nom d’Économie »

Antoine Fratini, auteur de « Au nom d’économie, croyances, cultes, liturgies et tabous de la religion unique» propose une lecture sensible mais sans concession de la « cause des causes » de l’agonie du monde. Oui, nous sommes possédés par ce signifiant-maître qu’est « Économie ». Un signifiant-maître des plus coriaces qui laisse entrevoir l’emprise d’un facteur profond, d’un archétype dominant auquel l’auteur dédie tout un chapitre, celui du Héros Tragique victime de sa hybris (1).
La psychanalyse jungienne, au-delà de sa dimension clinique, permet de repenser le monde ainsi que notre place en son sein d’une manière inclusive et harmonieuse. En ce sens les travaux orignaux d’Antoine Fratini représentent un phare dont le rayonnement s’avère majeur pour notre époque. Son « approche psycho-animiste » est une véritable voie, peut-être même la voie royale à emprunter pour retrouver notre équilibre psychique au sein d’une Nature à redécouvrir dans son aspect symbolique et sa dimension animique.

Un des nombreux mérites de cet ouvrage est qu’il ne se contente pas de dresser un constat terrible : « Les hommes politiques, les hommes d’affaires, les entrepreneurs… qui avec cynisme se prosternent devant Économie et ne montrent aucun égard pour la Mère Terre, pourraient être considérés comme des victimes d’une véritable « maladie de l’âme par les membres tribaux ». Il l’analyse, le démontre, et nous ne pouvons que souscrire à son point de vue tant il est exprimé clairement: progressivement, dans notre société l’individu est destiné à s’effacer pour laisser place au consommateur. Mais pourquoi cette emprise ? Pourquoi l’homme moderne s’est-il laissé prendre dans cette course illusoire vers l’avoir et le profit ? Pour se donner l’illusion de tout maîtriser ? Pour tenter d’apaiser ses angoisses ? Pour exorciser ses peurs, ses faiblesses et, in fine, la perspective d’une mort inéluctable ? Veut-il combler ses failles narcissiques en tentant de posséder cette forme majeure de pouvoir liée à l’argent ? Pourtant, l’argent n’achète ni la santé, ni la sérénité, ni le bonheur, ni l’amour, nous rappelle l’auteur! Et, pire, il nous le redit: « L’expérience nous enseigne que l’argent tue l’âme.

Amorcer un profond changement

Là où les échanges se calculent, s’évaluent avant tout par les chiffres, il devient difficile de trouver une place à l’âme. Les choses de l’âme n’ont pas de prix. Elles ne sauraient se vendre sans en même temps anéantir des parties de soi. Une montagne sacrée où demeurent les esprits ancestraux d’un peuple a-t-elle un prix ? Il ne s’agit pas uniquement d’une question affective, mais aussi éthique, psychologie et spirituelle ».

L’introduction de la monnaie, nous rappelle l’auteur, a eu des conséquences sensibles non seulement sur l’économie, le commerce, la politique, mais également, ce qui était passé jusqu’à présent totalement inaperçu, sur le plan psychologique.
Ces pages se tiennent justement au carrefour des secteurs économique, anthropologique, sociologique, psychanalytique et aussi religieux, dans son sens premier : ce qui relie.

L’ouvrage propose aussi des solutions concrètes, précises et simples à mettre en place afin d’opérer ce tournant majeur vers la profondeur d’une âme ancrée dans la Nature, bien que l’œuvre de dépossession du daïmon économique demeure toujours au premier plan : « … l’économie doit perdre sa nature de fin et redevenir un simple moyen utile à la réalisation de l’âme […]. Que l’on essaie d’imaginer un monde dans lequel chacun de nos actes s’imposerait non par intérêt économique, mais par sa profondeur intrinsèque, un monde où chaque paysage serait considéré et respecté comme une véritable œuvre d’art réalisée par la Nature, une culture qui placerait l’harmonie et le respect de l’âme et de tous les êtres vivants au premier rang de ses propres valeurs ».
Si nous décidons d’opérer ce virage psychologique et de revenir à un mode de perception animiste, nous pourrions retrouver ce sentiment d’union avec le monde qui caractérise les individus heureux et dont les peuples tribaux, profondément ancrés dans leurs traditions respectueuses de toute forme de vie, sont encore l’exemple plus concret. Là réside la sagesse dont notre monde a besoin car, comme nous le rappelle C. G. Jung, « un ensemble d’individus immatures ne pourra jamais donner lieu à une société mûre ».

À la question : « Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans l’humanité? », le Dalaï-Lama, exemple vivant de sagesse profonde, répondit : « les hommes. Parce qu’ils perdent la santé pour accumuler de l’argent, ensuite ils perdent de l’argent pour retrouver la santé. Et à penser anxieusement au futur, ils en oublient le présent, de telle sorte qu’ils finissent par ne vivre ni le présent, ni le futur. Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir, et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu ».
Ce constat devrait inviter les hommes à retrouver le bon sens, celui de la Nature dont ils font partie.

Au nom d’Économie, Croyances, cultes, liturgies et tabous de la religion unique, par Antoine Fratini, Éditions Édilivre, 2019, 180 pages
(1) L’hybris, ou hubris, en grec ancien, se traduit le plus souvent par « démesure ». Elle désigne un comportement ou un sentiment violent inspiré par des passions, mais aussi l’excès de pouvoir et de ce vertige qu’engendre un succès trop continu et la tentation de rivaliser avec les dieux
par Anne-Catherine SABAS
Anne-Catherine Sabas est psychopraticienne, psychanalyste, formatrice et auteure.

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